Parmi les éléments découverts dans mon premier dossier "LAPONIE", une lettre très abimée accompagnée d'un dessin avec les initiales VDB (!?). Je vous propose une transcription tapuscrite (pour plus de lisibilité - la lecture de l'original étant très compliquée, je me suis fait aidé par
Marie A. <je crois qu'elle a fait plus encore...> ).
Enfin une carte postale avec une légende en finnois "
puheenjohtajuuden jättiläisen" qui semblerait vouloir dire "
Fauteuil du géant"(merci les traducteurs en ligne). Comme quoi, les légendes peuvent sculpter les paysages. A moins que ce ne soit l'inverse...
Ma chère petite amoureuse,
Me voici sous le cercle polaire ! Jamais je ne fus plus au nord que je ne le suis aujourd’hui. Je profite de cette halte en terres finlandaises pour vous envoyer quelques nouvelles. Car je connais votre âme tourmentée et j’imagine sans peine votre inquiétude. Non, ma douce, je ne me suis pas égaré dans les glaces ! Je suis bien à l’abri auprès de paysans nomades, vivant et émerveillé. Ces éleveurs de rennes sont d’une hospitalité sans pareil ! Mais laissons cela pour une autre lettre. Car ce soir, alors que le sommeil pèse sur mes paupières, je voudrais vous raconter une histoire d’ici. C’est une bien jolie légende qui dit la force de l’amour et j’espère que vous y verrez un message de mon cœur…
Il était une fois un géant et une sirène qui étaient amoureux. C’était en réalité le plus grand des géants et elle était sans conteste la plus belle des sirènes. Comment en étaient-ils arrivés à s’aimer ? Nul ne le sut jamais. Et peu comprirent aussi ce qui les liait l’un à l’autre. Pourtant, le géant ne passait pas un jour sans venir s’asseoir au bord de l’eau. Adossé à une colline, il posait une à une ses énormes chaussures, puis une à une ses immenses chaussettes, et laissait ses pieds tremper dans l’eau claire. Chaque jour, la sirène guettait les ondes qui annonceraient à la surface de l’eau l’arrivée du géant. Et lorsqu’il était là enfin et qu’il avait glissé ses pieds dans l’eau, elle attendait que les eaux se calment et finissent de s’éclaircir pour commencer à nager entre les orteils du géant, en faisait glisser sa belle queue de poisson sur sa peau. Elle montait aussi le long de sa cheville et faisait des va-et-vient, majestueuse, entre les poils de ses mollets. Alors, le géant posait sa tête sur son genou et regardait nager sa sirène, malheureux de ne pas être un poisson, furieux d’être aussi grand. Quand elle le voyait ainsi, la sirène nageait jusqu’à toucher la surface et pleurait des larmes qui se diluaient aussitôt.
Les semaines et les mois passaient et leur amour ne tarissait pas. Un jour, le géant se rendit chez la sorcière et lui tint ces propos : « Sorcière, tu peux faire bien des choses grâce à tes formules et à tes boniments. Moi, j’ai la taille des montagnes et la force du vent. Je t’offre tout cela si tu me fais poisson. » La sorcière ne se le fit pas répéter. Deux plumes de cygne, trois poils de renne et hop ! voici le géant transformé.
omme j’aurais aimé que cette histoire s’arrêta là et pouvoir vous laisser penser que depuis ce jour, le géant nageait, petit mais heureux, dans le sillage de sa sirène. Quelle belle histoire cela aurait été, mon cœur, n’est-ce pas ? Mais je ne peux ainsi prendre des libertés avec les légendes que l’on me raconte. J’en viens donc à la fin de cette histoire, une fin si triste en vérité, qu’il me peine de vous l’écrire…
Car la sirène, désespérée de ne pas voir son géant arriver (il est chez la sorcière, mais comment l’aurait-elle deviné ?) s’en va trouver son père qui règne sur les eaux. Accablée de chagrin, elle lui tient ces propos : « Père, vous avez la sagesse et le pouvoir qui sied à votre rang et vous aimez votre fille comme tout père son enfant. Moi, j’ai la beauté des fleurs, les ors et les onguents. Je renonce à tout cela si vous me faites vent. Je ne connaitrai plus la douceur de l’eau mais je toucherai ses cheveux, je caresserai sa peau. » Le roi fut si ému par ces quelques mots qu’une seconde plus tard, elle était le vent. Son père garda sa beauté, ses ors et ses onguents et les offrit à ses trois filles cadettes. Mais pendant de longs jours et de longs mois, la sirène chercha partout son géant et le géant sa sirène. Chacun vécut de l’autre séparé et il ne fut jamais de plus grande peine.
Voici donc toute l’histoire. Mais mes yeux se ferment à présent et je crois bien que je vais emporter dans mes rêves le géant et sa sirène, et puis vos doux yeux, si beaux, mais si loin de moi.
Votre Juan Olaf"