Ma petite femme,
Quelles splendeurs que ces contrées perdues au centre du globe ! Jamais à part dans vos yeux je n’avais vu d’aussi beaux paysages.… La forêt est riche de milliers de verts différents et les fleurs qui débordent des arbres ressemblent à des araignées, belles et inquiétantes.
Ces derniers jours, nous avons descendu le fleuve de plusieurs kilomètres et nous nous sommes enfoncés un peu plus en avant dans la forêt. Nous n’avions pas marché plus d’une heure que nous tombions déjà sur un village jivaro !...
Le village s’ouvrait en cercle autour d’une place de sable. Devant les huttes étaient disposés des tables et sur les tables, de petites têtes aux yeux et à la bouche cousus de grosse ficelle. Des tsantzas! Des hommes se tenaient près de chaque table, la tête ceinte de plumes rouges et jaunes et le visage zébré de lignes et de dessins. Nous comprimes bien vite que ces têtes étaient à vendre et vous pouvez me croire, à un prix exorbitant ! Le discours du shaman sur les rituels de guérison avait son prix, lui aussi, et le prix augmentait selon la profondeur de la transe!
Vous devez prendre ces hommes pour des fous, ma mie, des fous et des exploiteurs. Pourtant, je vous assure, moi, que ce sont les êtres les plus intelligents que j’ai rencontrés. Ils n’ont pas mis longtemps à comprendre qu’ils pouvaient tirer partie de la venue dans leur forêt de curieux fortunés qui les toisent de toute leur supériorité d’hommes civilisés ! Alors ils ont eu une idée de génie : sachant que les vagues d’invasions successives des siècles passés leur ont bâti une réputation de guerriers farouches, ils ont décidé de retourner la situation à leur avantage : conforter les touristes crédules dans leurs opinions réductrices tout en leur soutirant de l’’argent… Cela n’est-il pas ingénieux ?
Les hommes abandonnent ce village à la tombée du jour et rejoignent leurs vraies huttes, un peu plus loin dans la forêt, suffisamment profond pour dissuader les curieux. C’est là qu’ils nous ont invités à nous reposer quelques jours. A notre départ, ils nous ont offert de fausses tsantzas, modelées dans l’argile. Celles ci n’emprisonnent pas l’âme vengeresse d’un ennemi sauvagement abattu : elles fixent dans la terre les grimaces que font pour s’amuser les enfants du village.
Mon épopée en Amazonie touche à sa fin ; je serai bientôt de retour, ma toute douce, et pourrai vous serrer dans mes bras. Il me tarde de voir si votre ventre tient encore dans votre robe et si votre cœur bat toujours un peu plus fort quand je suis là.
Votre Juan Olaf
Voici quelques échantillons de ces têtes qui ont parfois semer le trouble dans le quartier :